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— Encore un à-propos ! dit Olivier en riant de tout son cœur ; et cette fois, l’abbé de Gondi ne put tenir son sérieux malgré ses efforts.

Ils déchirèrent la lettre inutile, pour ne pas prolonger encore la détention du pauvre maréchal si elle était trouvée, et se rapprochèrent de la place des Terreaux et de la haie de gardes qu’ils devaient attaquer lorsque le signal du chapeau serait donné par le jeune prisonnier.

Ils virent avec satisfaction tous leurs amis à leur poste, et prêts à jouer des couteaux, selon leur propre expression. Le peuple, en se pressant autour d’eux, les favorisait sans le vouloir. Il survint près de l’abbé une troupe de jeunes demoiselles vêtues de blanc et voilées ; elles allaient à l’église pour communier, et les religieuses qui les conduisaient, croyant comme tout le peuple que ce cortége était destiné à rendre les honneurs à quelque grand personnage, leur permirent de monter sur de larges pierres de taille accumulées derrière les soldats. Là elles se groupèrent avec la grâce de cet âge, comme vingt belles statues sur un seul piédestal. On eût dit ces vestales que l’antiquité conviait aux sanglants spectacles des gladiateurs. Elles se parlaient à l’oreille en regardant autour d’elles, riaient et rougissaient ensemble, comme font les enfants.

L’abbé de Gondi vit avec humeur qu’Olivier allait encore oublier son rôle de conspirateur et son costume de maçon pour leur lancer des œillades et prendre un maintien trop élégant et des gestes trop civilisés pour l’état qu’on devait lui supposer : il commençait déjà à s’approcher d’elles en bouclant ses cheveux avec ses doigts, lorsque Fontrailles et Montrésor survinrent par bonheur sous un habit de soldats suisses ; un groupe de gentilshommes, déguisés en mariniers, les suivait avec des bâtons ferrés à la main ; ils avaient sur le visage une pâleur