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prononcer son nom dans les asiles les plus secrets. Il n’avait appris l’emprisonnement à Pierre-Encise que par la reine elle-même, qui avait daigné le faire venir et le charger d’en avertir la maréchale d’Effiat et tous les conjurés, afin qu’ils tentassent un effort désespéré pour délivrer leur jeune chef. Anne d’Autriche avait même osé envoyer beaucoup de gentilshommes d’Auvergne et de la Touraine à Lyon pour aider à ce dernier coup.

— La bonne reine ! dit-il, elle pleurait beaucoup lorsque je la vis, et disait qu’elle donnerait tout ce qu’elle possède pour vous sauver ; elle se faisait beaucoup de reproches d’une lettre, je ne sais quelle lettre. Elle parlait du salut de la France, mais ne s’expliquait pas. Elle me dit qu’elle vous admirait et vous conjurait de vous sauver, ne fût-ce que par pitié pour elle, à qui vous laisseriez des remords éternels.

— N’a-t-elle rien dit de plus, interrompit de Thou, qui soutenait Cinq-Mars pâlissant.

— Rien de plus, dit le vieillard.

— Et personne ne vous a parlé de moi ? répondit le grand Écuyer.

— Personne, dit l’abbé.

— Encore, si elle m’eût écrit ! dit Henry à demi-voix.

— Souvenez-vous donc, mon père, que vous êtes envoyé ici comme confesseur, reprit de Thou.

Cependant le vieux Grandchamp, aux genoux de Cinq-Mars et le tirant par ses habits de l’autre côté de la terrasse, lui criait d’une voix entrecoupée :

— Monseigneur… mon maître… mon bon maître… les voyez-vous ? les voilà… ce sont eux, ce sont elles… elles toutes.

— Eh ! qui donc, mon vieil ami ? disait son maître.

— Qui ? grand Dieu ! Regardez cette fenêtre, ne les reconnaissez-vous pas ? Votre mère, vos sœurs, votre frère.