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de la détention du grand Écuyer ; beaucoup le disaient exilé ; et, lorsque l’on avait su l’accommodement de Monsieur et du duc de Bouillon avec le Roi, on n’avait plus douté que la vie des autres ne fût assurée, et l’on avait cessé de parler de cette affaire, qui compromettait peu de personnes, n’ayant pas eu d’exécution. On s’était même en quelque sorte réjoui dans Paris de voir la ville de Sedan et son territoire ajoutés au royaume, en échange des lettres d’abolition accordées à M. de Bouillon reconnu innocent, comme Monsieur ; que le résultat de tous les arrangements avait fait admirer l’habileté du Cardinal et sa clémence envers les conspirateurs, qui, disait-on, avaient voulu sa mort. On faisait même courir le bruit qu’il avait fait évader Cinq-Mars et de Thou, s’occupant généreusement de leur retraite en pays étranger, après les avoir fait arrêter courageusement au milieu du camp de Perpignan.

À cet endroit du récit, Cinq-Mars ne put s’empêcher d’oublier sa résignation ; et, serrant la main de son ami :

Arrêter ! s’écria-t-il ; faut-il renoncer même à l’honneur de nous être livrés volontairement ? Faut-il tout sacrifier, jusqu’à l’opinion de la postérité ?

— C’était encore là une vanité, reprit de Thou en mettant le doigt sur sa bouche ; mais chut ! écoutons l’abbé jusqu’au bout.

Le gouverneur, ne doutant pas que le calme de ces deux jeunes gens ne vînt de la joie qu’ils ressentaient de voir leur fuite assurée, et voyant que le soleil avait à peine encore dissipé les vapeurs du matin, se livra sans contrainte à ce plaisir involontaire qu’éprouvent les vieillards en racontant des événements nouveaux, ceux mêmes qui doivent affliger. Il leur dit toutes ses peines infructueuses pour découvrir la retraite de son élève, ignorée de la cour et de la ville, où l’on n’osait pas même