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baissée, les yeux fixés sur une petite croix d’or, à la lueur tremblante d’une lampe, il était absorbé par une méditation si profonde, que le capucin eut le loisir d’approcher jusqu’à lui et de se placer debout face à face du prisonnier avant qu’il s’en aperçût. Enfin il leva la tête et s’écria :

— Que viens-tu faire ici, misérable ?

— Jeune homme, vous êtes emporté, répondit d’une voix très-basse le mystérieux visiteur ; deux mois de prison auraient pu vous calmer. Je viens pour vous dire d’importantes choses : écoutez-moi ; j’ai beaucoup pensé à vous, et je ne vous hais pas tant que vous croyez. Les moments sont précieux : je vous dirai tout en peu de mots. Dans deux heures on va venir vous interroger, vous juger et vous mettre à mort avec votre ami : cela ne peut manquer, parce qu’il faut que tout se termine le même jour.

— Je le sais, dit Cinq-Mars, et j’y compte.

— Eh bien ! je puis encore vous tirer d’affaire, car j’ai beaucoup réfléchi, comme je vous l’ai dit, et je viens vous proposer des choses qui vous seront agréables. Le Cardinal n’a pas six mois à vivre ; ne faisons pas les mystérieux, entre nous il faut être francs : vous voyez où je vous ai amené pour lui, et vous pouvez juger par là du point où je le conduirai pour vous si vous voulez ; nous pouvons lui retrancher ces six mois qui lui restent. Le Roi vous aime et vous rappellera près de lui avec transport quand il vous saura vivant ; vous êtes jeune, vous serez longtemps heureux et puissant ; vous me protégerez, vous me ferez cardinal.

L’étonnement rendit muet le jeune prisonnier, qui ne pouvait comprendre un tel langage et semblait avoir de la peine à y descendre de la hauteur de ses méditations. Tout ce qu’il put dire fut :

— Votre bienfaiteur ! Richelieu !

Le capucin sourit, et poursuivit tout bas en se rapprochant de lui :