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Il sonna : à l’instant même et comme s’ils eussent attendu le signal, quatre vigoureux valets de pied entrèrent et emportèrent son fauteuil et sa personne dans un autre appartement ; car, nous l’avons dit, il ne pouvait plus marcher. En passant dans la chambre où travaillaient les secrétaires, il dit à haute voix :

— Qu’on prenne les ordres de Sa Majesté.

Le Roi resta seul. Fort de sa nouvelle résolution, et fier d’avoir une fois résisté, il voulut sur-le-champ se mettre à l’ouvrage politique. Il fit le tour de l’immense table, et vit autant de portefeuilles que l’on comptait alors d’Empires, de Royaumes et de cercles dans l’Europe ; il en ouvrit un et le trouva divisé en cases, dont le nombre égalait celui des subdivisions de tout le pays auquel il était destiné. Tout était en ordre, mais dans un ordre effrayant pour lui, parce que chaque note ne renfermait que la quintessence de chaque affaire, si l’on peut parler ainsi, et ne touchait que le point juste des relations du moment avec la France. Ce laconisme était à peu près aussi énigmatique pour Louis que les lettres en chiffres qui couvraient la table. Là, tout était confusion : sur des édits de bannissement et d’expropriation des Huguenots de la Rochelle se trouvaient jetés les traités avec Gustave-Adolphe et les Huguenots du Nord contre l’Empire ; des notes sur le général Bannier, sur Walstein, le duc de Weimar et Jean de Wert, étaient roulées pêle-mêle avec le détail des lettres trouvées dans la cassette de la Reine, la liste de ses colliers et des bijoux qu’ils renfermaient et la double interprétation qu’on eût pu donner à chaque phrase de ses billets. Sur la marge de l’un d’eux étaient ces mots : Sur quatre lignes de l’écriture d’un homme, on peut lui faire un procès criminel. Plus loin étaient entassées les dénonciations contre les Huguenots, les plans de république qu’ils avaient arrêtés ; la division de la France