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indignes. Voyons, qu’est-ce que l’amour ? Moi, d’abord, je n’en sais rien.

Cet homme fut anéanti et regarda le parquet avec l’œil stupide de quelque animal ignoble. Après avoir cherché longtemps, il répondit enfin d’une voix traînante et nasillarde :

— Ce doit être quelque fièvre maligne qui égare le cerveau ; mais, en vérité, monseigneur, je vous avoue que je n’y avais jamais réfléchi jusqu’ici, et j’ai toujours été embarrassé pour parler à une femme ; je voudrais qu’on pût les retrancher de la société, car je ne vois pas à quoi elles servent, si ce n’est à faire découvrir des secrets, comme la petite duchesse ou comme Marion de Lorme, que je ne puis trop recommander à Votre Éminence. Elle a pensé à tout, et a jeté avec beaucoup d’adresse notre petite prophétie au milieu de ces conspirateurs. Nous n’avons pas manqué le merveilleux[1], cette fois, comme pour le siège d’Hesdin ; il ne s’agira plus que de trouver une fenêtre par laquelle vous passerez le jour de l’exécution.

— Voilà encore de vos sottises, monsieur ? dit le Cardinal : vous me rendrez aussi ridicule que vous, si vous continuez. Je suis trop fort pour me servir du ciel, que cela ne vous arrive plus. Ne vous occupez que des gens que je vous donne : je vous ai fait votre part tout à l’heure. Quand le grand Écuyer sera pris, vous le ferez juger et exécuter à Lyon. Je ne veux plus m’en mêler, cette affaire est trop petite pour moi : c’est un caillou sous mes pieds, auquel je n’aurais pas dû penser si longtemps.

  1. En 1638, le prince Thomas ayant fait lever le siège d’Hesdin, le Cardinal en fut très-peiné. Une religieuse du couvent du Mont-Calvaire avait dit que la victoire seroit au Roy, et le père Joseph vouloit ainsi que l’on crût que le Ciel protégeoit le ministre.
    (Mémoires pour l’histoire du Cardinal de Richelieu.)