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mon devoir, je suis sa femme !… s’écria Marie en sanglotant ; je voudrais déjà l’y savoir en sûreté.

— Rêves de dix-huit ans ! dit la Reine en soutenant Marie. Réveillez-vous, enfant, réveillez-vous, il le faut ; je ne veux nier aucune des qualités de M. de Cinq-Mars. Il a un grand caractère, un esprit vaste, un grand courage ; mais il ne peut plus être rien pour vous, et heureusement vous n’êtes ni sa femme ni même sa fiancée.

— Je suis à lui, madame, à lui seul…

— Mais sans bénédiction, reprit Anne d’Autriche, sans mariage enfin : aucun prêtre ne l’eût osé ; le vôtre même ne l’a pas fait, et me l’a dit. Taisez-vous, ajouta-t-elle en posant ses deux belles mains sur la bouche de Marie, taisez-vous ! Vous allez me dire que Dieu a entendu vos serments, que vous ne pouvez vivre sans lui, que vos destinées sont inséparables, que la mort seule peut briser votre union : propos de votre âge, délicieuses chimères d’un moment dont vous sourirez un jour, heureuse de ne pas avoir à les pleurer toute votre vie. De toutes ces jeunes femmes si brillantes que vous voyez autour de moi, à la cour, il n’en est pas une qui n’ait eu, à votre âge, quelque beau songe d’amour comme le vôtre, qui n’ait formé de ces liens que l’on croit indissolubles, et n’ait fait en secret d’éternels serments. Eh bien, ces songes sont évanouis, ces nœuds rompus, ces serments oubliés ; et pourtant vous les voyez femmes et mères heureuses, entourées des honneurs de leur rang, elles viennent rire et danser tous les soirs… Je devine encore ce que vous voulez me dire… Elles n’aimaient pas autant que vous, n’est-ce pas ? Eh bien, vous vous trompez, ma chère enfant ; elles aimaient autant et ne pleuraient pas moins. Mais c’est ici que je dois vous apprendre à connaître ce grand mystère qui fait votre désespoir, parce que vous ignorez le mal qui vous dévore.