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un large brasier de fonte, fumait un cigare et vidait une outre placée à son côté. La lueur de la braise éclairait son visage gras et jaune, ainsi que la chambre où étaient rangées des selles de mulet autour du brasero comme des siéges. Il souleva la tête sans se déranger.

— Ah ! ah ! c’est toi, Jacques ? dit-il, c’est bien toi ? Quoiqu’il y ait quatre ans que je ne t’aie vu, je te reconnais, tu n’es pas changé, brigand ; c’est toujours ta grande face de vaurien. Mets-toi là et buvons un coup.

— Oui, me voilà encore ici ; mais comment diable y es-tu, toi ? Je te croyais juge, Houmain !

— Et moi, donc, je te croyais bien capitaine espagnol, Jacques !

— Ah ! je l’ai été quelque temps, c’est vrai, et puis prisonnier ; mais je m’en suis tiré assez joliment, et j’ai repris l’ancien état, l’état libre, la bonne vieille contrebande.

Viva ! viva ! jaleo ! s’écria Houmain ; nous autres braves, nous sommes bons à tout. Ah çà ! mais… tu as donc toujours passé par les autres ports[1] ? car je ne t’ai pas revu depuis que j’ai repris le métier.

— Oui, oui, j’ai passé par où tu ne passeras pas, va ! dit Jacques.

— Et qu’apportes-tu ?

— Une marchandise inconnue ; mes mules viendront demain.

— Sont-ce les ceintures de soie, les cigares ou la laine ?

— Tu le sauras plus tard, amigo, dit le spadassin ; donne-moi l’outre, j’ai soif.

  1. Noms des chemins qui mènent d’Espagne en France par les Pyrénées.