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cette résolution qui paraîtrait une révolte à d’autres hommes qu’à vous ? Ne pensez-vous pas que j’aie abusé des pouvoirs que vous m’aviez remis ? J’ai porté loin les choses ; mais il est des temps où les rois veulent être servis comme malgré eux. Tout est prévu, vous le savez. Sedan nous ouvrira ses portes, et nous sommes assurés de l’Espagne.

Douze mille hommes de vieilles troupes entreront avec nous jusqu’à Paris. Aucune place pourtant ne sera livrée à l’étranger ; elles auront toutes garnison française, et seront prises au nom du Roi.

— Vive le Roi ! vive l’Union ! la nouvelle Union, la sainte Ligue ! s’écrièrent tous les jeunes gens de l’assemblée.

— Le voici venu, s’écria Cinq-Mars avec enthousiasme, le voici, le plus beau jour de ma vie ! Ô jeunesse, jeunesse, toujours nommée imprévoyante et légère de siècle en siècle ! de quoi t’accuse-t-on aujourd’hui ? Avec un chef de vingt-deux ans s’est conçue, mûrie, et va s’exécuter la plus vaste, la plus juste, la plus salutaire des entreprises. Amis, qu’est-ce qu’une grande vie, sinon une pensée de la jeunesse exécutée par l’âge mûr ? La jeunesse regarde fixement l’avenir avec son œil d’aigle, y trace un large plan, y jette une pierre fondamentale ; et tout ce que peut faire notre existence entière, c’est d’approcher de ce premier dessein. Ah ! quand pourraient naître les grands projets, sinon lorsque le cœur bat fortement dans la poitrine ? L’esprit n’y suffirait pas, il n’est rien qu’un instrument.

Une nouvelle explosion de joie suivait ces paroles, lorsqu’un vieillard à barbe blanche sortit de la foule.

— Allons, dit Gondi à demi-voix, voilà le vieux chevalier de Guise qui va radoter et nous refroidir.

En effet, le vieillard, serrant la main de Cinq-Mars, dit