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donner. Une foule d’hommes, qu’il reconnut pour des personnages de la cour ou des armées, se pressaient à l’entrée de cette chambre et se répandaient dans un appartement voisin qui paraissait plus vaste ; attentifs, ils dévoraient des yeux le spectacle qu’offrait le premier salon. Là, dix jeunes gens debout et tenant à la main leurs épées nues, dont la pointe était baissée vers la terre, étaient rangés autour d’une table : leurs visages tournés du côté de Cinq-Mars annonçaient qu’ils venaient de lui adresser leur serment ; le grand Écuyer était seul, devant la cheminée, les bras croisés et l’air profondément absorbé dans ses réflexions. Debout près de lui, Marion de Lorme, grave, recueillie, semblait lui avoir présenté ces gentilshommes.

Dès que Cinq-Mars aperçut son ami, il se précipita vers la porte qu’il ouvrait, en jetant un regard irrité à Gondi, et saisit de Thou par les deux bras en l’arrêtant sur le dernier degré :

— Que faites-vous ici ? lui dit-il d’une voix étouffée, qui vous amène ? que me voulez-vous ? vous êtes perdu si vous entrez.

— Que faites-vous vous-même ? que vois-je dans cette maison ?

— Les conséquences de ce que vous savez ; retirez-vous, vous dis-je ; cet air est empoisonné pour tous ceux qui sont ici.

— Il n’est plus temps, on m’a déjà vu ; que dirait-on si je me retirais ? je les découragerais, vous seriez perdu.

Tout ce dialogue s’était dit à demi-voix et précipitamment ; au dernier mot, de Thou, poussant son ami, entra, et d’un pas ferme traversa l’appartement pour aller vers la cheminée.

Cinq-Mars, profondément blessé, vint reprendre sa