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ces vers charmants ; que cela figurera bien dans cette histoire romaine !

— À merveille ! c’est parfait, dirent tous les savants : Horace, Arunce et l’aimable Porsenna sont des amants si galants !

Ils étaient tous penchés sur la carte de Tendre, et leurs doigts se croisaient et se heurtaient en suivant tous les détours des fleuves amoureux. Le jeune Poquelin osa élever une voix timide et son regard mélancolique et fin, et leur dit :

— À quoi cela sert-il ? est-ce à donner du bonheur ou du plaisir ? Monsieur ne me semble pas bien heureux, et je ne me sens pas bien gai.

Il n’obtint pour réponse que des regards de dédain, et se consola en méditant les Précieuses ridicules.

Desbarreaux se préparait à lire un sonnet pieux qu’il s’accusait d’avoir fait dans sa maladie ; il paraissait honteux d’avoir songé un moment à Dieu en voyant le tonnerre, et rougissait de cette faiblesse ; la maîtresse de la maison l’arrêta :

— Il n’est pas temps encore de dire vos beaux vers, vous seriez interrompu ; nous attendons M. le grand Écuyer et d’autres gentilshommes ; ce serait un meurtre que de laisser parler un grand esprit pendant ce bruit et ces dérangements. Mais voici un jeune Anglais qui vient de voyager en Italie et retourne à Londres. On m’a dit qu’il composait un poëme, je ne sais lequel ; il va nous en dire quelques vers. Beaucoup de ces messieurs de la Compagnie Éminente savent l’anglais ; et, pour les autres, il a fait traduire, par un ancien secrétaire du duc de Buckingham, les passages qu’il nous lira, et en voici des copies en français sur cette table.

En parlant ainsi, elle les prit et les distribua à tous ses érudits. On s’assit, et l’on fit silence. Il fallut quelque