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la verront n’aient pas l’esprit assez bien tourné pour l’entendre. Ceci est le chemin que l’on doit suivre pour aller de Nouvelle Amitié à Tendre ; et remarquez, messieurs, que comme on dit Cumes sur la mer d’Ionie, Cumes sur la mer Tyrrhène, on dira Tendre-sur-Inclination, Tendre-sur-Estime et Tendre-sur-Reconnaissance. Il faudra commencer par habiter les villages de Grand-Cœur, Générosité, Exactitude, Petits-Soins, Billet-Galant, puis Billet-doux !

— Oh ! c’est du dernier ingénieux ! criaient Vaugelas, Colletet et tous les autres.

— Et remarquez, poursuivait l’auteur, enflé de ce succès, qu’il faut passer par Complaisance et Sensibilité, et que, si l’on ne prend cette route, on court le risque de s’égarer jusqu’à Tiédeur, Oubli, et l’on tombe dans le lac d’Indifférence.

— Délicieux ! délicieux ! galant au suprême ! s’écriaient tous les auditeurs. On n’a pas plus de génie !

— Eh bien, madame, reprenait Scudéry, je le déclare chez vous : cet ouvrage, imprimé sous mon nom, est de ma sœur ; c’est elle qui a traduit Sapho d’une manière si agréable. Et, sans en être prié, il déclama d’un ton emphatique des vers qui finissaient par ceux-ci :

 
L’amour est un mal agréable[1]
Dont mon cœur ne saurait guérir ;
Mais quand il serait guérissable,
Il est bien plus doux d’en mourir.


— Comment ! cette Grecque avait tant d’esprit que cela ? Je ne puis le croire ! s’écria Marion de Lorme ; combien Mlle de Scudéry lui était supérieure ! Cette idée lui appartient ; qu’elle les mette dans Clélie, je vous en prie,

  1. Lisez la Clélie, t. I.