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C’était une de ces brumes si fréquentes aux bords de la Loire. Le soleil parut d’abord comme une petite lune sanglante, enveloppée dans un linceul déchiré, et se cacha en une demi-heure sous un voile si épais, que Marie distinguait à peine les premiers chevaux du carrosse, et que les hommes qui passaient à quelques pas lui semblaient des ombres grisâtres. Cette vapeur glacée devint une pluie pénétrante et en même temps un nuage d’une odeur fétide. La Reine fit asseoir la belle princesse près d’elle et voulut rentrer ; on retourna vers Chambord en silence et au pas. Bientôt on entendit les cors qui sonnaient le retour et rappelaient les meutes égarées, des chasseurs passaient rapidement près de la voiture, cherchant leur chemin dans le brouillard, et s’appelant à haute voix. Marie ne voyait souvent que la tête d’un cheval ou un corps sombre sortant de la triste vapeur des bois, et cherchait en vain à distinguer quelques paroles. Cependant son cœur battit ; on appelait M. de Cinq-Mars : Le Roi demande M. le Grand, répétait-on ; où peut être allé M. le grand Écuyer ? Une voix dit en passant près d’elle : Il s’est perdu tout à l’heure. Et ces paroles bien simples la firent frissonner, car son esprit affligé leur donnait un sens terrible. Cette pensée la suivit jusqu’au château et dans ses appartements, où elle courut s’enfermer. Bientôt elle entendit le bruit de la rentrée du Roi et de Monsieur, puis, dans la forêt, quelques coups de fusil dont on ne voyait pas la lumière. Elle regardait en vain aux étroits vitraux ; ils semblaient tendus au dehors d’un drap blanc qui ôtait le jour.

Cependant à l’extrémité de la forêt, vers Montfrault, s’étaient égarés deux cavaliers ; fatigués de chercher la route du château dans la monotone similitude des arbres et des sentiers, ils allaient s’arrêter près d’un étang, lorsque huit ou dix hommes environ, sortant des taillis,