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L’abbé reprit sur le même air :

 
Si vous conduisez ma brouette,
Ne versez pas, beau postillon,
Ton ton, ton ton, ton taine, ton ton.


— Ah ! l’abbé, vos chansons me rendront fou ! dit Fontrailles ; vous avez donc des airs pour tous les événements de la vie ?

— Je vous fournirai aussi des événements qui iront sur tous les airs, reprit Gondi.

— Ma foi, l’air de ceux-ci me plaît, répondit Fontrailles plus bas ; je ne serai pas obligé par Monsieur de porter à Madrid son diable de traité, et je n’en suis point fâché ; c’est une commission assez scabreuse : les Pyrénées ne se passent point si facilement qu’il le croit, et le Cardinal est sur la route.

— Ah ! ah ! ah ! s’écria Montrésor.

— Ah ! ah ! dit Olivier.

— Eh bien, quoi ? ah ! ah ! dit Gondi ; qu’avez-vous donc découvert de si beau ?

— Ma foi, pour le coup, le Roi a touché la main de Monsieur ; Dieu soit loué, messieurs ! Nous voilà défaits du Cardinal : le vieux sanglier est forcé. Qui se chargera de l’expédier ? Il faut le jeter dans la mer.

— C’est trop beau pour lui, dit Olivier ; il faut le juger.

— Certainement, dit l’abbé ; comment donc ! nous ne manquerons pas de chefs d’accusation contre un insolent qui a osé congédier un page ; n’est-il pas vrai ?

Puis, arrêtant son cheval et laissant marcher Olivier et Montrésor, il se pencha du côté de M. du Lude, qui parlait à deux personnages plus sérieux, et dit :

— En vérité, je suis tenté de mettre mon valet de chambre aussi dans le secret ; on n’a jamais vu traiter