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cer une pluie prochaine ; à travers le bois éclairci et les tristes rameaux, on voyait passer lentement les pesants carrosses de la cour, remplis de femmes vêtues de noir uniformément[1], et condamnées à attendre le résultat d’une chasse qu’elles ne voyaient pas ; les meutes donnaient des voix éloignées, et le cor se faisait entendre quelquefois comme un soupir ; un vent froid et piquant obligeait chacun à se couvrir ; et quelques femmes, mettant sur leur visage un voile ou un masque de velours noir pour se préserver de l’air que n’arrêtaient pas les rideaux de leurs carrosses (car ils n’avaient point de glaces encore), semblaient porter le costume que nous appelons domino.

Tout était languissant et triste. Seulement quelques groupes de jeunes gens, emportés par la chasse, traversaient comme le vent l’extrémité d’une allée en jetant des cris ou donnant du cor ; puis tout retombait dans le silence, comme, après la fusée du feu d’artifice, le ciel paraît plus sombre.

Dans un sentier parallèle à celui que suivait lentement le Roi, s’étaient réunis quelques courtisans enveloppés dans leur manteau. Paraissant s’occuper fort peu du chevreuil, ils marchaient à cheval à la hauteur de la brouette du Roi, et ne la perdaient pas de vue. Ils parlaient à demi-voix.

— C’est bien, Fontrailles, c’est bien ; victoire ! Le Roi lui prend le bras à tout moment. Voyez-vous comme il lui sourit ? Voilà M. le Grand qui descend de cheval et monte sur le siège à côté de lui. Allons, allons, le vieux matois est perdu cette fois !

— Ah ! ce n’est rien encore que cela ! n’avez-vous pas

  1. Un édit de 1639 avait déterminé le costume de la cour. Il était simple et noir.