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et contemplant l’image du président de Thou, dont il tenait les Mémoires :

— Oui, mon père, continua-t-il, vous aviez bien pensé, je vais être criminel, je vais mériter la mort ; mais puis-je faire autrement ? Je ne dénoncerai pas ce traître, parce que ce serait aussi trahir, et qu’il est mon ami, et qu’il est malheureux.

Puis, s’avançant vers Cinq-Mars et lui prenant de nouveau la main :

— Je fais beaucoup pour vous en cela, lui dit-il ; mais n’attendez rien de plus de ma part, monsieur, si vous signez ce traité.

Cinq-Mars était ému jusqu’au fond du cœur de cette scène, parce qu’il sentait tout ce que devait souffrir son ami en le repoussant. Il prit cependant encore sur lui d’arrêter une larme qui s’échappait de ses yeux, et répondit en l’embrassant :

— Ah ! de Thou, je vous trouve toujours aussi parfait ; oui, vous me rendez service en vous éloignant de moi, car, si votre sort eût été lié au mien, je n’aurais pas osé disposer de ma vie, et j’aurais hésité à la sacrifier s’il le faut ; mais je le ferai assurément à présent ; et, je vous le répète, si l’on m’y force, je signerai le traité avec l’Espagne.