pour Louis XIII ; c’était une des pensées de Marie, sa pensée la plus chère. Mais je crois que je ne triompherai pas dans l’âme tourmentée du Roi.
— Sur quoi comptez-vous donc ? dit de Thou.
— Sur un coup de dés. Si sa volonté peut cette fois durer quelques heures, j’ai gagné ; c’est un dernier calcul auquel est suspendue ma destinée.
— Et celle de votre Marie !
— L’avez-vous cru ! dit impétueusement Cinq-Mars. Non, non ! s’il m’abandonne, je signe le traité d’Espagne et la guerre.
— Ah ! quelle horreur ! dit le conseiller ; quelle guerre ! une guerre civile ! et l’alliance avec l’étranger !
— Oui, un crime, reprit froidement Cinq-Mars, eh ! vous ai-je prié d’y prendre part ?
— Cruel ! ingrat ! reprit son ami, pouvez-vous me parler ainsi ? Ne savez-vous pas, ne vous ai-je pas prouvé que l’amitié tenait dans mon cœur la place de toutes les passions ? Puis-je survivre non-seulement à votre mort, mais même au moindre de vos malheurs ! Cependant laissez-moi vous fléchir et vous empêcher de frapper la France. Ô mon ami ! mon seul ami ! je vous en conjure à genoux, ne soyons pas ainsi parricides, n’assassinons pas notre patrie ! Je dis nous, car jamais je ne me séparerai de vos actions ; conservez ― moi l’estime de moi-même, pour laquelle j’ai tant travaillé ; ne souillez pas ma vie et ma mort que je vous ai vouées.
De Thou était tombé aux genoux de son ami, et celui-ci, n’ayant plus la force de conserver sa froideur affectée, se jeta dans ses bras en le relevant, et, le serrant contre sa poitrine, lui dit d’une voix étouffée :
— Eh ! pourquoi m’aimer autant, aussi ? Qu’avez-vous fait, ami ? Pourquoi m’aimer ? vous qui êtes sage, pur et vertueux ; vous que n’égarent pas une passion insensée