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Mme de Guéménée, n’est-il pas vrai ? Allons, soyez franc, on m’a dit qu’elle avait l’air d’une religieuse. Ah !… vous ne répondez pas, vous êtes embarrassé… elle vous a donné dans l’œil… ou bien vous craignez d’offenser notre ami M. de Thou en la comparant à la belle Guéménée. Eh bien, parlons des usages : le roi a un nain charmant, n’est-ce pas ? on le met dans un pâté. Qu’il est heureux le roi d’Espagne ! je n’en ai jamais pu trouver un comme cela. Et la Reine, on la sert à genoux toujours, n’est-il pas vrai ? oh ! c’est un bon usage ; nous l’avons perdu ; c’est malheureux, plus malheureux qu’on ne croit.

Gaston d’Orléans eut le courage de parler sur ce ton près d’une demi-heure de suite à ce jeune homme, dont le caractère sérieux ne s’accommodait point de cette conversation, et qui, tout rempli encore de l’importance de la scène dont il venait d’être témoin et des grands intérêts qu’on avait traités, ne répondit rien à ce flux de paroles oiseuses : il regardait le duc de Bouillon d’un air étonné, comme pour lui demander si c’était bien là cet homme que l’on allait mettre à la tête de la plus audacieuse entreprise conçue depuis longtemps, tandis que le prince, sans vouloir s’apercevoir qu’il restait sans réponses, les faisait lui-même souvent, et parlait avec volubilité en se promenant, et l’entraînant avec lui dans la chambre. Il craignait que l’un des assistants ne s’avisât de renouer la conversation terrible du traité ; mais aucun n’en était tenté, sinon le duc de Bouillon, qui, cependant, garda le silence de la mauvaise humeur. Pour Cinq-Mars, il fut entraîné par de Thou, qui lui fit faire sa retraite à l’abri de ce bavardage, sans que Monsieur eût l’air de l’avoir vu sortir.