Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/275

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Monsieur, lui dit-il, oubliez-vous la suite ?

— Non, pardieu, je ne l’oublie pas ! répondit tout bas celui-ci. Et s’adressant à la Reine : — Acceptez, madame, l’offre de M. le Grand ; il est à portée de décider le Roi plus que vous et nous ; mais tenez-vous prête à tout, car le Cardinal est trop habile pour s’endormir. Je ne crois pas à sa maladie ; je ne crois point à son silence et à son immobilité, qu’il veut nous persuader depuis deux ans ; je ne croirais point à sa mort même, que je n’eusse porté sa tête dans la mer, comme celle du géant de l’Arioste. Attendez-vous à tout, hâtons-nous sur toutes choses. J’ai fait montrer mes plans à Monsieur tout à l’heure ; je vais vous en faire l’abrégé : je vous offre Sedan, madame, pour vous et messeigneurs vos fils. L’armée d’Italie est à moi ; je la fais rentrer s’il le faut. M. le grand Écuyer est maître de la moitié du camp de Perpignan ; tous les vieux huguenots de la Rochelle et du Midi sont prêts au premier signe à le venir trouver : tout est organisé depuis un an par mes soins en cas d’événements.

— Je n’hésite point, dit la Reine, à me mettre dans vos mains pour sauver mes enfants s’il arrivait quelque malheur au Roi. Mais dans ce plan général vous oubliez Paris.

— Il est à nous par tous les points : le peuple par l’archevêque, sans qu’il s’en doute, et par M. de Beaufort, qui est son roi ; les troupes par vos gardes et ceux de Monsieur, qui commandera tout, s’il le veut bien.

— Moi ! moi ! oh ! cela ne se peut pas absolument ! je n’ai pas assez de monde, et il me faut une retraite plus forte que Sedan, dit Gaston.

— Mais elle suffit à la Reine, reprit M. de Bouillon.

— Ah ! cela peut bien être, mais ma sœur ne risque pas autant qu’un homme qui tire l’épée. Savez-vous que c’est très-hardi ce que nous faisons là ?