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à cet âge, et, voyant sa mère tout en larmes, mit la main sur la petite épée qu’il portait.

— Ah ! monseigneur, dit le duc de Bouillon en se baissant à demi pour lui adresser ce qu’il voulait faire entendre à la princesse, ce n’est pas contre nous qu’il faut tirer votre épée, mais contre celui qui déracine votre trône ; il vous prépare une grande puissance, sans doute ; vous aurez un sceptre absolu ; mais il a rompu le faisceau d’armes qui le soutenait, Ce faisceau-là, c’était votre vieille Noblesse, qu’il a décimée. Quand vous serez roi, vous serez un grand roi, j’en ai le pressentiment ; mais vous n’aurez que des sujets et point d’amis, car l’amitié n’est que dans l’indépendance et une sorte d’égalité qui naît de la force. Vos ancêtres avaient leurs pairs, et vous n’aurez pas les vôtres. Que Dieu vous soutienne alors, monseigneur, car les hommes ne le pourront pas ainsi sans les institutions. Soyez grand ; mais surtout qu’après vous, grand homme, il en vienne toujours d’aussi forts ; car, en cet état de choses, si l’un d’eux trébuche, toute la monarchie s’écroulera.

Le duc de Bouillon avait une chaleur d’expression et une assurance qui captivaient toujours ceux qui l’entendaient : sa valeur, son coup d’œil dans les combats, la profondeur de ses vues politiques, sa connaissance des affaires d’Europe, son caractère réfléchi et décidé tout à la fois le rendaient l’un des hommes les plus capables et les plus imposants de son temps, le seul même que redoutât réellement le Cardinal-Duc. La Reine l’écoutait toujours avec confiance, et lui laissait prendre une sorte d’empire sur elle. Cette fois elle fut plus fortement émue que jamais.

— Ah ! plût à Dieu, s’écria-t-elle, que mon fils eût l’âme ouverte à vos discours et le bras assez fort pour en profiter ! Jusque-là pourtant j’entendrai, j’agirai pour lui ;