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n’est plus le temps des ménagements : la maladie du Roi est très-grave ; le moment de penser et de résoudre est arrivé, car le temps d’agir n’est pas loin.

Le ton sévère et brusque de M. de Bouillon ne surprit pas Anne d’Autriche ; mais elle l’avait toujours trouvé plus calme, et fut un peu émue de l’inquiétude qu’il témoignait : aussi, quittant le ton de la plaisanterie qu’elle avait d’abord voulu prendre :

— Eh bien, quoi ? que craignez-vous, et que voulez-vous faire ?

— Je ne crains rien pour moi, madame, car l’armée d’Italie ou Sedan me mettront toujours à l’abri ; mais je crains pour vous-même, et peut-être pour les princes vos fils.

— Pour mes enfants, monsieur le duc, pour les fils de France ? L’entendez-vous, mon frère, l’entendez-vous ? et vous ne paraissez pas étonné ?

La Reine était fort agitée en parlant.

— Non, madame, dit Gaston d’Orléans fort paisiblement ; vous savez que je suis accoutumé à toutes les persécutions ; je m’attends à tout de la part de cet homme ; il est le maître, il faut se résigner…

— Il est le maître ! reprit la Reine ; et de qui tient-il son pouvoir, si ce n’est du Roi ? et, après le Roi, quelle main le soutiendra, s’il vous plaît ! qui l’empêchera de retomber dans le néant ? sera-ce vous ou moi ?

— Ce sera lui-même, interrompit M. de Bouillon, car il veut se faire nommer régent, et je sais qu’à l’heure qu’il est il médite de vous enlever vos enfants, et demande au roi que leur garde lui soit confiée.

— Me les enlever ! s’écria la mère, saisissant involontairement le Dauphin et le prenant dans ses bras.

L’enfant, debout entre les genoux de la Reine, regarda les hommes qui l’entouraient avec une gravité singulière