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— Cher de Thou, j’ai gardé de grands secrets sur mon cœur, et croyez qu’ils y ont été bien pesants ; mais deux craintes m’ont forcé au silence : celle de vos dangers, et, le dirai-je, celle de vos conseils.

— Vous savez cependant bien, dit de Thou, que je méprise les premiers, et je pensais que vous ne méprisiez pas les autres.

— Non ; mais je les redoutais, je les crains encore ; je ne veux point être arrêté. Ne parlez pas, mon ami, pas un mot, je vous en conjure, avant d’avoir entendu et vu ce qui va se passer. Je vous ramène chez vous en sortant du Louvre ; là, je vous écoute, et je pars pour continuer mon ouvrage, car rien ne m’ébranlera, je vous en avertis ; je l’ai dit à ces messieurs chez vous tout à l’heure.

Cinq-Mars n’avait rien dans son accent de la rudesse que supposeraient ces paroles : sa voix était caressante, son regard doux, amical et affectueux, son air tranquille et déterminé dès longtemps ; rien n’annonçait le moindre effort sur soi-même. De Thou le remarqua et en gémit.

— Hélas ! dit-il en descendant de sa voiture avec lui. Et il le suivit, en soupirant, dans le grand escalier du Louvre.

Lorsqu’ils entrèrent chez la Reine, annoncés par des huissiers vêtus de noir et portant une verge d’ébène, elle était assise à sa toilette. C’était une sorte de table d’un bois noir, plaquée d’écaille, de nacre et de cuivre incrustés, et formant une infinité de dessins d’assez mauvais goût, mais qui donnaient à tous les meubles un air de grandeur qu’on y admire encore ; un miroir arrondi par le haut, et que les femmes du monde trouveraient aujourd’hui petit et mesquin, était seulement posé au milieu de la table ; des bijoux et des colliers épars la couvraient. Anne d’Autriche, assise devant et placée sur un