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pocrisie factieuse et d’un amas de gens sans aveu, sortis de la boue de Paris et vomis par ses égouts. J’avoue que je suis très-las de ce que je vois, et je suis venu aussi pour vous prier d’en parler à M. le Grand.

De Thou était fort embarrassé pendant ces deux discours, et cherchait en vain à comprendre ce que Cinq-Mars pouvait avoir à démêler avec le peuple, qui lui avait semblé se réjouir : d’un autre côté, il persistait à ne pas vouloir faire l’aveu de son ignorance ; elle était totale cependant, car, la dernière fois qu’il avait vu son ami, il ne parlait que des chevaux et des écuries du Roi, de la chasse au faucon et de l’importance du grand veneur dans les affaires de l’État, ce qui ne semblait pas annoncer de vastes projets où le peuple pût entrer. Enfin il se hasarda timidement à leur dire :

— Messieurs, je vous promets de faire votre commission ; en attendant, je vous offre ma table et des lits pour le temps que vous voudrez. Mais pour vous dire mon avis dans cette occasion, cela m’est difficile. Ah çà, dites-moi un peu, on n’a donc pas fêté la Sainte-Barbe ?

— La Sainte-Barbe ! dit Fournier.

— La Sainte-Barbe ! dit du Lude.

— Oui, oui, on a brûlé de la poudre ; c’est ce que veut dire M. de Thou, reprit le premier en riant. Ah ! c’est fort drôle ! fort drôle ! Oui, effectivement, je crois que c’est aujourd’hui la Sainte-Barbe.

Cette fois de Thou fut confondu de leur étonnement et réduit au silence ; pour eux, voyant qu’ils ne s’entendaient pas avec lui, ils prirent le parti de se taire de même.

Ils se taisaient encore, lorsque la porte s’ouvrit à l’ancien gouverneur de Cinq-Mars, l’abbé Quillet, qui entra en boitant un peu. Il avait l’air soucieux, et n’avait rien conservé de son ancienne gaieté dans son air et ses pro-