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un amas de papiers et de livres qui couvraient une grande table ; elle éclairait le buste de L’Hospital, celui de Montaigne, du président de Thou l’historien, et du roi Louis XIII ; une cheminée assez haute pour qu’un homme pût y entrer, et même s’y asseoir, était remplie par un grand feu brûlant sur d’énormes chenets de fer. Sur l’un de ces chenets était appuyé le pied du studieux de Thou, qui, déjà levé, examinait avec attention les œuvres nouvelles de Descartes et de Grotius ; il écrivait, sur son genou, ses notes sur ces livres de philosophie et de politique qui faisaient alors le sujet de toutes les conversations ; mais en ce moment les Méditations métaphysiques absorbaient toute son attention ; le philosophe de la Touraine enchantait le jeune conseiller. Souvent, dans son enthousiasme, il frappait sur le livre en jetant des cris d’admiration ; quelquefois il prenait une sphère placée près de lui, et, la tournant longtemps sous ses doigts, s’enfonçait dans les plus profondes rêveries de la science ; puis, conduit par leur profondeur à une élévation plus grande, se jetait à genoux tout à coup devant le crucifix placé sur la cheminée, parce qu’aux bornes de l’esprit humain il avait rencontré Dieu. En d’autres instants, il s’enfonçait dans les bras de son grand fauteuil de manière à être presque assis sur le dos, et, mettant ses deux mains sur ses yeux, suivait dans sa tête la trace des raisonnements de René Descartes, depuis cette idée de la première méditation :

« Supposons que nous sommes endormis, et que toutes ces particularités, savoir : que nous ouvrons les yeux, remuons la tête, étendons le bras, ne sont que de fausses illusions… »

Jusqu’à cette sublime conclusion de la troisième :

« Il ne reste à dire qu’une chose : c’est que, semblable à l’idée de moi-même, celle de Dieu est née et produite