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coûté toute la puissance de mon rang, les plaisirs de mon âge, les affections de ma famille, et jusqu’au cœur de mon mari ; il m’a isolée du monde entier ; il m’enferme à présent dans une barrière d’honneurs et de respects ; et naguère il a osé, au scandale de la France entière, me mettre en accusation moi-même ; on a visité mes papiers, on m’a interrogée ; on m’a fait signer que j’étais coupable et demander pardon au Roi d’une faute que j’ignorais ; enfin, j’ai dû au dévouement et à la prison, peut-être éternelle, d’un fidèle domestique[1], la conservation de cette cassette que tu m’as sauvée. Je vois dans tes regards que tu me crois trop effrayée ; mais ne t’y trompe pas, comme toute la cour le fait à présent, ma chère fille ; sois sûre que cet homme est partout, et qu’il sait jusqu’à nos pensées.

— Quoi ! madame, saurait-il tout ce qu’ont crié ces gens sous vos fenêtres et le nom de ceux qui les envoient ?

— Oui, sans doute, il le sait d’avance ou le prévoit ; il le permet, il l’autorise, pour me compromettre aux yeux du Roi et le tenir éternellement séparé de moi ; il veut achever de m’humilier,

— Mais cependant le Roi ne l’aime plus depuis deux ans ; c’est un autre qu’il aime.

La Reine sourit ; elle contempla quelques instants en silence les traits naïfs et purs de la belle Marie, et son regard plein de candeur qui se levait sur elle languissamment ; elle écarta les boucles noires qui voilaient ce beau front, et parut reposer ses yeux et son âme en voyant cette innocence ravissante exprimée sur un visage si beau ; elle baisa sa joue et reprit :

  1. Il se nommait Laporte. Ni la crainte des supplices, ni l’espoir de l’or du Cardinal ne lui arrachèrent un mot des secrets de la Reine.