Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/235

Cette page a été validée par deux contributeurs.

celles que je prévoyais ici même hier au soir, quand j’eus l’honneur de l’entretenir.

— Il ne s’agit pas de cela, interrompit Gaston ; vous ne pourrez pas dire que j’aie rien ordonné ni autorisé ; je ne me mêle de rien, je n’entends rien au gouvernement…

— Je conviens, poursuivit Fontrailles, que votre Altesse n’a rien ordonné ; mais elle m’a permis de lui dire que je prévoyais que cette nuit serait troublée vers les deux heures, et j’espérais que son étonnement serait moins grand.

Le prince, se remettant peu à peu, et voyant qu’il n’effrayait pas les deux champions ; ayant d’ailleurs dans sa conscience et lisant dans leurs yeux le souvenir du consentement qu’il leur avait donné la veille, s’assit sur le bord de son lit, croisa les bras, et, les regardant d’un air de juge, leur dit encore avec une voix imposante :

— Mais enfin, qu’avez-vous donc fait ?

— Eh ! presque rien, monseigneur, dit Fontrailles ; le hasard nous a fait rencontrer dans la foule quelques-uns de nos amis qui avaient eu querelle avec le cocher de M. de Chavigny qui les écrasait, il s’en est suivi quelques propos un peu vifs, quelques petits gestes un peu brusques, quelques égratignures qui ont fait rebrousser chemin au carrosse, et voilà tout.

— Absolument tout, répéta Montrésor.

— Comment, tout ! s’écria Gaston très-ému et sautant dans la chambre ; et n’est-ce donc rien que d’arrêter la voiture d’un ami du Cardinal-Duc ? Je n’aime point les scènes, je vous l’ai déjà dit ; je ne hais point le Cardinal ; c’est un grand politique certainement, un très-grand politique ; vous me compromettez horriblement ; on sait que Montrésor est à moi ; si on l’a reconnu, on dira que je l’ai envoyé…