Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/208

Cette page a été validée par deux contributeurs.

découragé ; parlez hautement au Roi du mérite et des malheurs de ses plus illustres amis que l’on écrase ; dites-lui sans crainte que sa vieille Noblesse n’a jamais conspiré contre lui ; et que, depuis le jeune Montmorency jusqu’à cet aimable comte de Soissons, tous avaient combattu le ministre, et jamais le monarque ; dites-lui que les vieilles races de France sont nées avec sa race, qu’en les frappant il remue toute la nation, et que, s’il les éteint, la sienne en souffrira, qu’elle demeurera seule exposée au souffle du temps et des événements, comme un vieux chêne frissonne et s’ébranle au vent de la plaine, lorsque l’on a renversé la forêt qui l’entoure et le soutient. — Oui, s’écria de Thou en s’animant, ce but est noble et beau ; marchez dans votre route d’un pas inébranlable, chassez même cette honte secrète, cette pudeur qu’une âme noble éprouve avant de se décider à flatter, à faire ce que le monde appelle sa cour. Hélas ! les rois sont accoutumés à ces paroles continuelles de fausse admiration pour eux ; considérez-les comme une langue nouvelle qu’il faut apprendre, langue bien étrangère à vos lèvres jusqu’ici, mais que l’on peut parler noblement, croyez-moi, et qui saurait exprimer de belles et généreuses pensées.

Pendant le discours enflammé de son ami, Cinq-Mars ne put se défendre d’une rougeur subite, et il tourna son visage sur l’oreiller, du côté de la tente, et de manière à ne pas être vu. De Thou s’arrêta :

— Qu’avez-vous, Henry ? vous ne me répondez pas ; me serais-je trompé !

Cinq-Mars soupira profondément et se tut encore.

— Votre cœur n’est-il pas ému de ces idées que je croyais devoir le transporter !

Le blessé regarda son ami avec moins de trouble et lui dit :