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— On la dit d’une fort grande beauté, reprit Joseph ; c’est un don très-précieux pour une famille ; on aurait pu la présenter à la cour, et le Roi… Ah ! ah !… Mlle de La Fayette… Eh !… eh !… Mlle d’Hautefort… vous entendez… il serait même possible encore d’y penser.

— Ah ! que je vous reconnais bien là… monseigneur, car nous savons qu’on vous a nommé au cardinalat ; que vous êtes bon de vous souvenir du plus dévoué de vos amis !

Laubardemont parlait encore à Joseph, lorsqu’ils se trouvèrent au bout de la rue du camp qui conduisait au quartier des volontaires.

— Que Dieu vous protège et sa sainte Mère pendant mon absence, dit Joseph s’arrêtant ; je vais partir demain pour Paris ; et, comme j’aurai affaire plus d’une fois à ce petit Cinq-Mars, je vais le voir d’avance et savoir des nouvelles de sa blessure.

— Si l’on m’avait écouté, dit Laubardemont, à l’heure qu’il est vous n’auriez pas cette peine.

— Hélas ! vous avez bien raison ! répondit Joseph avec un soupir profond et levant les yeux au ciel ; mais le Cardinal n’est plus le même homme ; il n’accueille pas les bonnes idées, il nous perdra s’il se conduit ainsi.

Et, faisant une profonde révérence au juge, le capucin entra dans le chemin qu’il lui avait montré.

Laubardemont le suivit quelque temps des yeux, et, quand il fut bien sûr de la route qu’il avait prise, il revint ou plutôt accourut jusqu’à la tente du ministre. — Le Cardinal l’éloigne, s’était-il dit ; donc il s’en dégoûte ; je sais des secrets qui peuvent le perdre. J’ajouterai qu’il est allé faire sa cour au futur favori ; je remplacerai ce moine dans la faveur du ministre. L’instant est propice, il est minuit ; il doit encore rester seul pendant une heure et demie. Courons.