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fois une sainte chaleur dans le propos, pour ce qui est du bien de l’État et de monseigneur, à qui je suis tout dévoué.

— Ah ! qui le sait mieux que moi, révérend père ? mais vous me rendez justice, vous savez aussi combien je le suis à l’éminentissime Cardinal-Duc, auquel je dois tout. Hélas ! je n’ai mis que trop de zèle à le servir, puisqu’il me le reproche.

— Rassurez-vous, dit Joseph, il ne vous en veut pas ; je le connais bien, il conçoit qu’on fasse quelque chose pour sa famille ; il est fort bon parent aussi.

— Oui, c’est cela, reprit Laubardemont, voilà mon affaire à moi ; ma nièce était perdue tout à fait avec son couvent si Urbain eût triomphé ; vous sentez cela comme moi, d’autant plus qu’elle ne nous avait pas bien compris, et qu’elle a fait l’enfant quand il a fallu paraître.

— Est-il possible ? en pleine audience ! Ce que vous me dites là me fâche véritablement pour vous ! Que cela dut être pénible !

— Plus que vous ne l’imaginez ! Elle oubliait tout ce qu’on lui disait dans la possession, faisait mille fautes de latin que nous avons raccommodées comme nous avons pu ; et même elle a été cause d’une scène désagréable le jour du procès ; fort désagréable pour moi et pour les juges : un évanouissement, des cris. Ah ! je vous jure que je l’aurais bien chapitrée, si je n’eusse été forcé de quitter précipitamment cette petite ville de Loudun. Mais, voyez-vous, il est tout simple que j’y tienne, c’est ma plus proche parente ; car mon fils a mal tourné, on ne sait ce qu’il est devenu depuis quatre ans. La pauvre petite Jeanne de Belfiel ! je ne l’avais faite religieuse, et puis abbesse, que pour conserver tout à ce mauvais sujet-là. Si j’avais prévu sa conduite, je l’aurais réservée pour le monde.