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sur la nature humaine, et non l’authenticité du fait. Les noms des personnages ne font rien à la chose.

L’Idée est tout. Le nom propre n’est rien que l’exemple et la preuve de l’idée.

Tant mieux pour la mémoire de ceux que l’on choisit pour représenter des idées philosophiques ou morales ; mais, encore une fois, la question n’est pas là : l’imagination fait d’aussi belles choses sans eux ; elle est une puissance toute créatrice ; les êtres fabuleux qu’elle anime sont doués de vie autant que les êtres réels qu’elle ranime. Nous croyons à Othello comme à Richard III, dont le monument est à Westminster ; à Lovelace et à Clarisse autant qu’à Paul et à Virginie, dont les tombes sont à l’Ile de France. C’est du même œil qu’il faut voir jouer ces personnages et ne demander à la muse que sa vérité plus belle que le vrai ; soit que, rassemblant les traits d’un caractère épars dans mille individus complets, elle en compose un type dont le nom seul est imaginaire ; soit qu’elle aille choisir sous leur tombe et toucher de sa chaîne galvanique les morts dont on sait de grandes choses, les force à se lever encore et les traîne, tout éblouis, au grand jour, où dans le cercle qu’a tracé cette fée ils reprennent à regret leurs passions d’autrefois et recommencent par-devant leurs neveux le triste drame de la vie.


Écrit en 1827.