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— Et jamais de sa vie elle ne parla à un bourgeois, si ce n’est pour lui dire en arrivant au logement : « Allume-moi une chandelle, et fais chauffer ma soupe. »

— Eh bien, qu’est-ce qu’elle te disait ta mère ? dit Grand-Ferré.

— Si tu es si pressé, tu ne le sauras pas, blanc-bec ; elle disait habituellement dans sa conversation : Un soldat vaut mieux qu’un chien ; mais un chien vaut mieux qu’un bourgeois.

— Bravo ! bravo ! c’est bien dit ! crièrent les soldats pleins d’enthousiasme à ces belles paroles.

— Et ça n’empêche pas, dit Grand-Ferré, que les bourgeois qui m’ont dit que ça brûlait la langue avaient raison ; d’ailleurs, ce n’était pas tout à fait des bourgeois, car ils avaient des épées, et ils étaient fâchés de ce qu’on brûlait un curé, et moi aussi.

— Et qu’est-ce que cela te faisait qu’on brûlât ton curé, grand innocent ? reprit un sergent de bataille appuyé sur la fourche de son arquebuse ; après lui un autre ; tu aurais pu prendre à sa place un de nos généraux, qui sont tous curés à présent ; moi qui suis Royaliste, je le dis franchement.

— Taisez-vous donc ! cria la Pipe ; laissez parler cette fille. Ce sont tous ces chiens de Royalistes qui viennent nous déranger quand nous nous amusons.

— Qu’est-ce que tu dis ? reprit Grand-Ferré ; sais-tu seulement ce que c’est que d’être Royaliste, toi ?

— Oui, dit la Pipe, je vous connais bien tous, allez : vous êtes pour les anciens soi-disant Princes de la paix, avec les Croquants, contre le Cardinal et la gabelle ; là ! ai-je raison ou non ?

— Eh bien, non, vieux Bas-rouge ! un Royaliste est celui qui est pour un roi : voilà ce que c’est. Et comme mon père était valet des émérillons du Roi, je suis pour