— Tu ne sais pas, tu ne sais pas, disait un autre, voici Grand-Ferré qui dit qu’il la connaît.
— Oui, je te dis que je la connais, et, par Saint-Pierre de Loudun, je jurerais que je l’ai vue dans mon village quand j’étais en congé, et c’était à une affaire où il faisait chaud, mais dont on ne parle pas, surtout à un Cardinaliste comme toi.
— Et pourquoi n’en parle-t-on pas, grand nigaud ? reprit un vieux soldat en relevant sa moustache.
— On n’en parle pas parce que cela brûle la langue, entends-tu cela ?
— Non, je ne l’entends pas.
— Eh bien ! ni moi non plus ; mais ce sont les bourgeois qui me l’ont dit.
Ici un éclat de rire général l’interrompit.
— Ah ! ah ! est-il bête ! disait l’un ; il écoute ce que disent les bourgeois.
— Ah bien ! si tu les écoutes bavarder, tu as du temps à perdre, reprenait un autre.
— Tu ne sais donc pas ce que disait ma mère, blanc-bec ? reprenait gravement le plus vieux en baissant les yeux d’un air farouche et solennel pour se faire écouter.
— Eh ! comment veux-tu que je le sache, la Pipe ? Ta mère doit être morte de vieillesse avant que mon grand-père fût au monde.
— Eh bien ! blanc-bec, je vais te le dire. Tu sauras d’abord que ma mère était une respectable Bohémienne, aussi attachée au régiment des Carabins de la Roque que mon chien Canon que voilà ; elle portait l’eau-de-vie à son cou, dans un baril, et la buvait mieux que le premier de chez nous ; elle avait eu quatorze époux, tous militaires, et morts sur le champ de bataille.
— Voilà ce qui s’appelle une femme ! interrompirent les soldats pleins de respect.