— Impertinents ! s’écria le Cardinal, rompant tout à coup le silence et ôtant de ses lèvres son mouchoir taché de sang, je punirais votre sanglante dispute si elle ne m’avait appris bien des secrets d’infamie de votre part. On a dépassé mes ordres : je ne voulais point de torture, Laubardemont ; c’est votre seconde faute ; vous me ferez haïr pour rien, c’était inutile. Mais vous, Joseph, ne négligez pas les détails de cette émeute où fut Cinq-Mars ; cela peut servir par la suite.
— J’ai tous les noms et signalements, dit avec empressement le juge secret, inclinant jusqu’au fauteuil sa grande taille et son visage olivâtre et maigre, que sillonnait un rire servile.
— C’est bon, c’est bon, dit le ministre, le repoussant ; il ne s’agit pas encore de cela. Vous, Joseph, soyez à Paris avant ce jeune présomptueux qui va être favori, j’en suis certain ; devenez son ami, tirez-en parti pour moi, ou perdez-le ; qu’il me serve ou qu’il tombe. Mais, surtout, envoyez-moi des gens sûrs, et tous les jours, pour me rendre compte verbalement ; jamais d’écrits à l’avenir. Je suis très-mécontent de vous, Joseph ; quel misérable courrier avez-vous choisi pour venir de Cologne ! Il ne m’a pas su comprendre ; il a vu le Roi trop tôt, et nous voilà encore avec une disgrâce à combattre. Vous avez manqué me perdre entièrement. Vous allez voir ce qu’on va faire à Paris ; on ne tardera pas à y tramer une conspiration contre moi ; mais ce sera la dernière. Je reste ici pour les laisser tous plus libres d’agir. Sortez tous deux et envoyez-moi mon valet de chambre dans deux heures seulement : je veux être seul.
On entendait encore les pas de ces deux hommes, et Richelieu, les yeux attachés sur l’entrée de sa tente, semblait les poursuivre de ses regards irrités.
— Misérables ! s’écria-t-il lorsqu’il fut seul, allez encore