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demont. Le Cardinal regardait du côté du Roi si, avant de rentrer, ce prince ne lui parlerait pas, lorsque le bruit des chevaux de Cinq-Mars se fit entendre ; les gardes du Cardinal le questionnèrent et le laissèrent s’avancer sans suite, et seulement avec de Thou.

— Vous êtes arrivé trop tard, jeune homme, pour parler au Roi, dit d’une voix aigre le Cardinal-Duc ; on ne fait pas attendre Sa Majesté.

Les deux amis allaient se retirer, lorsque la voix même de Louis XIII se fit entendre. Ce prince était en ce moment dans une de ces fausses positions qui firent le malheur de sa vie entière. Irrité profondément contre son ministre, mais ne se dissimulant pas qu’il lui devait le succès de la journée, ayant d’ailleurs besoin de lui annoncer son intention de quitter l’armée et de suspendre le siège de Perpignan, il était combattu entre le désir de lui parler et la crainte de faiblir dans son mécontentement ; de son côté, le ministre n’osait lui adresser la parole le premier, incertain sur les pensées qui roulaient dans la tête de son maître, et craignant de mal prendre son temps, mais ne pouvant non plus se décider à se retirer ; tous deux se trouvaient précisément dans la situation de deux amants brouillés qui voudraient avoir une explication, lorsque le Roi saisit avec joie la première occasion d’en sortir. Le hasard fut fatal au ministre ; voilà à quoi tiennent ces destinées qu’on appelle grandes.

— N’est-ce pas M. de Cinq-Mars ? dit le Roi d’une voix haute ; qu’il vienne, je l’attends.

Le jeune d’Effiat s’approcha à cheval, et à quelques pas du Roi voulut mettre pied à terre ; mais à peine sa jambe eut-elle touché le gazon qu’il tomba à genoux.

— Pardon, Sire, dit-il, je crois que je suis blessé.

Et le sang sortit violemment de sa botte.

De Thou l’avait vu tomber, et s’était approché pour le