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son aspect réprima toute idée de rapprochements ironiques ou de conjectures injurieuses. Ce jour-là le Cardinal parut revêtu d’un costume entièrement guerrier : c’était un habit couleur de feuille morte, bordé en or ; une cuirasse couleur d’eau ; l’épée au côté, des pistolets à l’arçon de sa selle, et un chapeau à plumes qu’il mettait rarement sur sa tête, où il conservait toujours la calotte rouge. Deux pages étaient derrière lui : l’un portait ses gantelets, l’autre son casque, et le capitaine de ses gardes était à son côté.

Comme le Roi l’avait nouvellement nommé généralissime de ses troupes, c’était à lui que les généraux envoyaient demander des ordres ; mais lui, connaissant trop bien les secrets motifs de la colère actuelle de son maître, affecta de renvoyer à ce prince tous ceux qui voulaient avoir une décision de sa bouche. Il arriva ce qu’il avait prévu, car il réglait et calculait les mouvements de ce cœur comme ceux d’une horloge, et aurait pu dire avec exactitude par quelles sensations il avait passé. Louis XIII vint se placer à ses côtés, mais il vint comme vient l’élève adolescent forcé de reconnaître que son maître a raison. Son air était hautain et mécontent, ses paroles étaient brusques et sèches. Le Cardinal demeura impassible. Il fut remarquable que le Roi employait, en consultant, les paroles du commandement, conciliant ainsi sa faiblesse et son pouvoir, son irrésolution et sa fierté, son impéritie et ses prétentions, tandis que son ministre lui dictait ses lois avec le ton de la plus profonde obéissance.

— Je veux que l’on attaque bientôt, Cardinal, dit le prince en arrivant ; c’est-à-dire, ajouta-t-il avec un air d’insouciance, lorsque tous vos préparatifs seront faits et à l’heure dont vous serez convenu avec nos maréchaux.