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romance couché sur un lit de repos. Mais prévenu par les idées d’Ambrosio, il songea qu’il se pouvait qu’il eût volé ces objets de luxe au pillage des appartements d’une femme ; et, l’abordant brusquement, lui dit :

Hombre ! je suis officier ; veux-tu me rendre la liberté et me faire revoir mon pays ?

Le jeune Français le regarda avec l’air doux de son âge, et, songeant à sa propre famille, lui dit :

— Monsieur, je vais vous présenter au marquis de Coislin, qui vous accordera sans doute ce que vous demandez ; votre famille est-elle de Castille ou d’Aragon ?

— Ton Coislin demandera une autre permission encore, et me fera attendre une année. Je te donnerai quatre mille ducats si tu me fais évader.

Cette figure douce, ces traits enfantins, se couvrirent de la pourpre de la fureur ; ces yeux bleus lancèrent des éclairs, et, en disant : De l’argent, à moi ! va-t’en, imbécile ! le Jeune homme donna sur la joue de l’Espagnol un bruyant soufflet. Celui-ci, sans hésiter, tira un long poignard de sa poitrine, et, saisissant le bras du Français, crut le lui plonger facilement dans le cœur ; mais, leste et vigoureux, l’adolescent lui prit lui-même le bras droit, et, l’élevant avec force au-dessus de sa tête, le ramena avec le fer sur celle de l’Espagnol frémissant de rage.

— Eh ! eh ! eh ! doucement, Olivier ! Olivier ! crièrent de toutes parts ses camarades accourant : il y a assez d’Espagnols par terre.

Et ils désarmèrent l’officier ennemi.

— Que ferons-nous de cet enragé ? disait l’un.

— Je n’en voudrais pas pour mon valet de chambre, répondait l’autre.

— Il mérite d’être pendu, disait un troisième ; mais, ma foi, messieurs, nous ne savons pas pendre ; envoyons-le à ce bataillon de Suisses qui passe dans la plaine.