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soldat de l’armée n’y était placé ; toutes les forces semblaient dirigées sur le nord de Perpignan, du côté le plus difficile, contre un fort de brique nommé le Castillet, qui surmonte la porte de Notre-Dame. Il vit qu’un terrain en apparence marécageux, mais très-solide, conduisait jusqu’au pied du bastion espagnol ; que ce poste était gardé avec toute la négligence castillane, et ne pouvait avoir cependant de force que par ses défenseurs, car ses créneaux et ses meurtrières étaient ruinés et garnis de quatre pièces de canon d’un énorme calibre, encaissées dans du gazon, et par là rendues immobiles et impossibles à diriger contre une troupe qui se précipiterait rapidement au pied du mur.

Il était aisé de voir que ces énormes pièces avaient ôté aux assiégeants l’idée d’attaquer ce point, et aux assiégés celle d’y multiplier les moyens de défense. Aussi, d’un côté, les postes avancés et les vedettes étaient fort éloignés ; de l’autre, les sentinelles étaient rares et mal soutenues. Un jeune Espagnol, tenant une longue escopette avec sa fourche suspendue à son côté, et la mèche fumante dans la main droite, se promenait nonchalamment sur le rempart, et s’arrêta à considérer Cinq-Mars, qui faisait à cheval le tour des fossés et du marais.

Señor Caballero, lui dit-il, est-ce que vous voulez prendre le bastion à vous seul et à cheval, comme don Quixote-Quixada de la Mancha ?

Et en même temps il détacha la fourche ferrée qu’il avait au côté, la planta en terre, et y appuyait le bout de son escopette pour ajuster, lorsqu’un grave Espagnol plus âgé, enveloppé dans un sale manteau brun, lui dit dans sa langue :

Ambrosio de demonio, ne sais-tu pas bien qu’il est défendu de perdre la poudre inutilement jusqu’aux sorties ou aux attaques, pour avoir le plaisir de tuer un enfant