Depuis la scène nocturne de son auberge près de Loudun, il n’avait pu reprendre assez d’empire sur son esprit pour s’occuper d’autre chose que de ses chères et douloureuses pensées ; et une sorte de consomption s’emparait déjà de lui, lorsque heureusement il arriva au camp de Perpignan, et heureusement encore eut occasion d’accepter la proposition de l’abbé de Gondi ; car on a sans doute reconnu Cinq-Mars dans la personne de ce jeune étranger en deuil, si insouciant et si mélancolique, que le duelliste en soutane avait pris pour témoin.
Il avait fait établir sa tente comme volontaire dans la rue du camp assignée aux jeunes seigneurs qui devaient être présentés au Roi et servir comme aides de camp des généraux, ; il s’y rendit promptement, fut bientôt armé, à cheval et cuirassé selon la coutume qui subsistait encore alors, et partit seul pour le bastion espagnol, lieu du rendez-vous. Il s’y trouva le premier, et reconnut qu’un petit champ de gazon caché par les ouvrages de la place assiégée avait été fort bien choisi par le petit abbé pour ses projets homicides ; car, outre que personne n’eût soupçonné des officiers d’aller se battre sous la ville même qu’ils attaquaient, le corps du bastion les séparait du camp français, et devait les voiler comme un immense paravent. Il était bon de prendre ces précautions, car il n’en coûtait pas moins que la tête alors pour s’être donné la satisfaction de risquer son corps.
En attendant ses amis et ses adversaires, Cinq-Mars eut le temps d’examiner le côté du sud de Perpignan, devant lequel il se trouvait. Il avait entendu dire que ce n’était pas ces ouvrages que l’on attaquerait, et cherchait en vain à se rendre compte de ces projets. Entre cette face méridionale de la ville, les montagnes de l’Albère et le col du Perthus, on aurait pu tracer des lignes d’attaque et des redoutes contre le point accessible ; mais pas un