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mains posées sur l’épaule des deux enfants à demi courbés, il dit :

— Sire, je viens supplier Votre Majesté de m’accorder enfin une retraite après laquelle je soupire depuis longtemps. Ma santé chancelle ; je sens que ma vie est bientôt achevée ; l’éternité s’approche pour moi, et, avant de rendre compte au Roi éternel, je vais le faire au roi passager. Il y a dix-huit ans, Sire, que vous m’avez remis entre les mains un royaume faible et divisé ; je vous le rends uni et puissant. Vos ennemis sont abattus et humiliés. Mon œuvre est accomplie. Je demande à Votre Majesté la permission de me retirer à Cîteaux, où je suis abbé-général, pour y finir mes jours dans la prière et la méditation.

Le Roi, choqué de quelques expressions hautaines de ces paroles, ne donna aucun des signes de faiblesse qu’attendait le Cardinal, et qu’il lui avait vus toutes les fois qu’il l’avait menacé de quitter les affaires. Au contraire, se sentant observé par toute sa cour, il le regarda en roi et dit froidement :

— Nous vous remercions donc de vos services, monsieur le Cardinal, et nous vous souhaitons le repos que vous demandez.

Richelieu fut ému au fond, mais d’un sentiment de colère qui ne laissa nulle trace sur ses traits. « Voilà bien cette froideur, se dit-il en lui-même, avec laquelle tu laissas mourir Montmorency ; mais tu ne m’échapperas pas ainsi. » Il reprit la parole en s’inclinant :

— La seule récompense que je demande de mes services, est que Votre Majesté daigne accepter de moi, en pur don, le Palais-Cardinal, élevé de mes deniers dans Paris.

Le Roi étonné fit un signe de tête consentant. Un murmure de surprise agita un moment la cour attentive.