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comme à l’aspect d’un lépreux ; le seul Fabert s’avança vers lui avec l’air franc et brusque qui lui était habituel, et employant dans son langage les expressions de son métier :

— Eh bien, monseigneur, vous faites une brèche au milieu d’eux comme un boulet de canon ; je vous en demande pardon pour eux.

— Et vous tenez ferme devant moi comme devant l’ennemi, dit le Cardinal-Duc ; vous n’en serez pas fâché par la suite, mon cher Fabert.

Mazarin s’approcha aussi, mais avec précaution, du Cardinal, et, donnant à ses traits mobiles l’expression d’une tristesse profonde, lui fit cinq ou six révérences fort basses et tournant le dos au groupe du Roi, de sorte que l’on pouvait les prendre de là pour ces saluts froids et précipités que l’on fait à quelqu’un dont on veut se défaire, et du côté du Duc pour des marques de respect, mais d’une discrète et silencieuse douleur.

Le ministre, toujours calme, sourit avec dédain ; et, prenant ce regard fixe et cet air de grandeur qui paraissait en lui dans les dangers imminents, il s’appuya de nouveau sur ses pages, et, sans attendre un mot ou un regard de son souverain, prit tout à coup son parti et marcha directement vers lui en traversant la tente dans toute sa longueur. Personne ne l’avait perdu de vue, tout en faisant paraître le contraire, et tout se tut, ceux mêmes qui parlaient au Roi ; tous les courtisans se penchèrent en avant pour voir et écouter.

Louis XIII étonné se retourna, et, la présence d’esprit lui manquant totalement, il demeura immobile et attendit avec un regard glacé, qui était sa seule force, force d’inertie très-grande dans un prince.

Le Cardinal, arrivé près du monarque, ne s’inclina pas ; mais, sans changer d’attitude, les yeux baissés et les deux