Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.
4
RÉFLEXIONS

plus complet, quelque groupe, quelque réduction à sa portée et à son usage des anneaux de cette vaste chaîne d’événements que sa vue ne pouvait embrasser ; car il voulait aussi trouver, dans les récits, des exemples qui pussent servir aux vérités morales dont il avait la conscience ; peu de destinées particulières suffisaient à ce désir, n’étant que les parties incomplètes du tout insaisissable de l’histoire du monde ; l’une était pour ainsi dire un quart, l’autre une moitié de preuve ; l’imagination fit le reste et les compléta. De là, sans doute, sortit la fable. — L’homme la créa vraie, parce qu’il ne lui est pas donné de voir autre chose que lui-même et la nature qui l’entoure ; mais il la créa vraie d’une vérité toute particulière.

Cette vérité toute belle, tout intellectuelle, que je sens, que je vois et voudrais définir, dont j’ose ici distinguer le nom de celui du vrai, pour me mieux faire entendre, est comme l’âme de tous les arts. C’est un choix du signe caractéristique dans toutes les beautés et toutes les grandeurs du vrai visible ; mais ce n’est pas lui-même, c’est mieux que lui ; c’est un ensemble idéal de ses principales formes, une teinte lumineuse qui comprend ses plus vives couleurs, un baume enivrant de ses parfums les plus purs, un élixir délicieux de ses sucs les meilleurs, une harmonie parfaite de ses sons les plus mélodieux ; enfin c’est une somme complète de toutes ses valeurs. À cette seule vérité doivent prétendre les œuvres de l’Art qui sont une représentation morale de la vie, les œuvres dramatiques. Pour l’atteindre, il faut sans doute commencer par connaître tout le vrai de chaque siècle, être imbu profondément de son ensemble et de ses détails ; ce n’est là qu’un pauvre mérite d’attention,