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— Sire, on le croit fort malade en cet instant, repartit celui-ci.

— Et je ne vois pourtant que Votre Majesté qui le puisse guérir, dit le duc de Beaufort.

— Nous ne guérissons que les écrouelles, dit le Roi ; et les maux du Cardinal sont toujours si mystérieux, que nous avouons n’y rien connaître.

Le prince s’essayait ainsi de loin à braver son ministre, prenant des forces dans la plaisanterie pour rompre mieux son joug insupportable, mais si difficile à soulever. Il croyait presque y avoir réussi, et, soutenu par l’air de joie de tout ce qui l’environnait, il s’applaudissait déjà intérieurement d’avoir su prendre l’empire suprême et jouissait en ce moment de toute la force qu’il se croyait. Un trouble involontaire au fond du cœur lui disait bien que, cette heure passée, tout le fardeau de l’État allait retomber sur lui seul ; mais il parlait pour s’étourdir sur cette pensée importune, et, se dissimulant le sentiment intime qu’il avait de son impuissance à régner, il ne laissait plus flotter son imagination sur le résultat des entreprises, se contraignant ainsi lui-même à oublier les pénibles chemins qui peuvent y conduire. Des phrases rapides se succédaient sur ses lèvres.

— Nous allons bientôt prendre Perpignan, disait-il de loin à Fabert. — Eh bien, Cardinal, la Lorraine est à nous, ajoutait-il pour La Valette.

Puis, touchant le bras de Mazarin :

— Il n’est pas si difficile que l’on croit de mener tout un royaume, n’est-ce pas ?

L’Italien, qui n’avait pas autant de confiance que le commun des courtisans dans la disgrâce du Cardinal, répondit sans se compromettre :

— Ah ! Sire, les derniers succès de Votre Majesté, au dedans et au dehors, prouvent assez combien elle est