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doublées d’une telle profusion de dentelles, et si larges, qu’elles semblaient les porter comme un vase porte des fleurs. Un petit manteau de velours bleu, où la croix du Saint-Esprit était brodée, couvrait le bras gauche du Roi, appuyé sur le pommeau de son épée.

Il avait la tête découverte, et l’on voyait parfaitement sa figure pâle et noble éclairée par le soleil que le haut de sa tente laissait pénétrer. La petite barbe pointue que l’on portait alors augmentait encore la maigreur de son visage, mais en accroissait aussi l’expression mélancolique ; à son front élevé, à son profil antique, à son nez aquilin, on reconnaissait un prince de la grande race des Bourbons ; il avait tout de ses ancêtres, hormis la force du regard : ses yeux semblaient rougis par des larmes et voilés par un sommeil perpétuel, et l’incertitude de sa vue lui donnait l’air un peu égaré.

Il affecta en ce moment d’appeler autour de lui et d’écouter avec attention les plus grands ennemis du Cardinal, qu’il attendait à chaque minute, en se balançant un peu d’un pied sur l’autre, habitude héréditaire de sa famille ; il parlait avec assez de vitesse, mais s’interrompant pour faire un signe de tête gracieux ou un geste de la main à ceux qui passaient devant lui en le saluant profondément.

Il y avait deux heures pour ainsi dire que l’on passait devant le Roi sans que le Cardinal eût paru ; toute la cour était accumulée et serrée derrière le prince et dans les galeries tendues qui se prolongeaient derrière sa tente ; déjà un intervalle de temps plus long commençait à séparer les noms des courtisans que l’on annonçait.

— Ne verrons-nous pas notre cousin le Cardinal ? dit le Roi en se retournant et regardant Montrésor, gentilhomme de Monsieur, comme pour l’encourager à répondre.