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— Puis-je savoir, monsieur l’abbé, pourquoi vous me regardez d’une manière si assurée ?

— Parbleu ! monsieur de Launay, c’est que je suis curieux de voir ce que vous allez faire. Tout le monde abandonne votre Cardinal-Duc depuis votre voyage en Touraine ; vous n’y pensez pas, allez donc causer un moment avec les gens de Monsieur ou de la Reine ; vous êtes en retard de dix minutes sur la montre du cardinal de La Valette, qui vient de toucher la main à Rochepot et à tous les gentilshommes du feu comte de Soissons, que je pleurerai toute ma vie.

— Voilà qui est bien, monsieur de Gondi, je vous entends assez, c’est un appel que vous me faites l’honneur de m’adresser.

— Oui, monsieur le comte, reprit le jeune abbé en saluant avec toute la gravité du temps ; je cherchais l’occasion de vous appeler au nom de M. d’Attichi, mon ami, avec qui vous eûtes quelque chose à Paris.

— Monsieur l’abbé, je suis à vos ordres, je vais chercher mes seconds, cherchez les vôtres.

— Ce sera à cheval, avec l’épée et le pistolet, n’est-il pas vrai ? ajouta Gondi, avec le même air dont on arrangerait une partie de campagne, en époussetant la manche de sa soutane avec le doigt.

— Si tel est votre bon plaisir, reprit l’autre.

Et ils se séparèrent pour un instant en se saluant avec grande politesse et de profondes révérences.

Une foule brillante de jeunes gentilshommes passait et repassait autour d’eux dans la galerie. Ils s’y mêlèrent pour chercher leurs amis. Toute l’élégance des costumes du temps était déployée par la cour dans cette matinée : les petits manteaux de toutes les couleurs, en velours ou en satin, brodés d’or ou d’argent, des croix de Saint-Michel et du Saint-Esprit, les fraises, les plumes nom-