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Puis, élevant la voix et regardant tout autour de lui comme pour s’adresser au salon silencieux et captivé :

— J’espère, continua-t-il, qu’on ne nous persécutera plus comme l’on fit autrefois pour avoir fait une juste alliance avec l’un des plus grands hommes de nos temps ; mais Gustave-Adolphe est mort, le roi catholique n’aura plus de prétexte pour solliciter l’excommunication du roi très-chrétien. N’êtes-vous pas de mon avis, mon cher seigneur ? dit-il en s’adressant au cardinal de La Valette qui s’approchait, et n’avait heureusement rien entendu sur son compte. Monsieur d’Estrées, restez près de notre fauteuil : nous avons encore bien des choses à vous dire, et vous n’êtes pas de trop dans toutes nos conversations, car nous n’avons point de secrets, notre politique est franche et au grand jour : l’intérêt de Sa Majesté et de l’État, voilà tout.

Le maréchal fit un profond salut, se rangea derrière le siège du ministre, et laissa sa place au cardinal de La Valette, qui, ne cessant de se prosterner, et de flatter et de jurer dévouement et totale obéissance au Cardinal, comme pour expier la roideur de son père, le duc d’Épernon, n’eut aussi de lui que quelques mots vagues et une conversation distraite et sans intérêt, pendant laquelle il ne cessa de regarder à la porte quelle personne lui succédait. Il eut même le chagrin de se voir interrompu brusquement par le Cardinal-Duc, qui s’écria, au moment le plus flatteur de son discours mielleux :

— Ah ! c’est donc vous enfin, mon cher Fabert ! Qu’il me tardait de vous voir pour vous parler du siége !

Le général salua d’un air brusque et assez gauchement le Cardinal généralissime, et lui présenta les officiers venus du camp avec lui. Il parla quelque temps des opérations du siége, et le Cardinal semblait lui faire, en quelque sorte, la cour pour le préparer à recevoir plus tard