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aigri contre ce prélat, dont la hauteur était telle et les impertinences si fréquentes, qu’il avait eu deux affaires assez désagréables dans Bordeaux. Il y avait quatre ans, le duc d’Épernon, alors gouverneur de la Guyenne, suivi de tous ses gentilshommes et de ses troupes, le rencontrant au milieu de son clergé dans une procession, l’appela insolent, et lui donna deux coups de canne très-vigoureux ; sur quoi l’archevêque l’excommunia ; et tout récemment encore, malgré cette leçon, il avait eu une querelle avec le maréchal de Vitry, dont il avait reçu vingt coups de canne ou de bâton, comme il vous plaira, écrivait le Cardinal-Duc au cardinal de La Valette, et je crois qu’il veut remplir la France d’excommuniés. En effet, il excommunia encore le bâton du maréchal, se souvenant qu’autrefois le pape avait forcé le duc d’Épernon à lui demander pardon ; mais Vitry, qui avait fait assassiner le maréchal d’Ancre, était trop bien en cour pour cela, et l’archevêque fut battu, et de plus grondé par le ministre.

M. d’Estrées pensa donc avec assez de tact qu’il pouvait y avoir un peu d’ironie dans la manière dont le Cardinal vantait les talents guerriers et maritimes de l’archevêque, et lui répondit avec un sang-froid inaltérable :

— En effet, monseigneur, personne ne peut dire que ce soit sur mer qu’il ait été battu.

Son Éminence ne put s’empêcher de sourire, mais, voyant que l’impression électrique de ce sourire en avait fait naître d’autres dans la salle, et des chuchotements et des conjectures, il reprit toute sa gravité sur-le-champ, et prenant le bras familièrement au maréchal :

— Allons, allons, monsieur l’ambassadeur, dit-il, vous avez la repartie bonne. Avec vous, je ne craindrais pas le cardinal Albornos, ni tous les Borgia du monde, ni tous les efforts de leur Espagne près du Saint-Père.