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Tandis que le serviteur trahissait ainsi son maître, le maître ne restait pas en arrière et trahissait le serviteur. Son amour-propre et un reste de respect pour les choses de l’Église le faisaient souffrir à l’idée de voir le méprisable agent couvert du même chapeau qui était une couronne pour lui, et assis aussi haut que lui-même, à cela près de l’emploi passager de ministre. Parlant donc à demi voix au maréchal d’Estrées :

— Il n’est pas nécessaire, lui dit-il, de persécuter plus longtemps Urbain VIII en faveur de ce capucin que vous voyez là-bas ; c’est bien assez que Sa Majesté ait daigné le nommer au cardinalat, nous concevons les répugnances de Sa Sainteté à couvrir ce mendiant de la pourpre romaine.

Puis, passant de cette idée aux choses générales :

— Je ne sais vraiment pas ce qui peut refroidir le Saint-Père à notre égard ; qu’avons-nous fait qui ne fût pour la gloire de notre sainte mère l’Église catholique ? J’ai dit moi-même la première messe à la Rochelle, et vous le voyez par vos yeux, monsieur le maréchal, notre habit est partout, et même dans vos armées ; le cardinal de La Valette vient de commander glorieusement dans le Palatinat.

— Et vient de faire une très-belle retraite, dit le maréchal, appuyant légèrement sur le mot retraite.

Le ministre continua, sans faire attention à ce petit mot de jalousie de métier et en élevant la voix :

— Dieu a montré qu’il ne dédaignait pas d’envoyer l’esprit de victoire à ses Lévites, car le duc de Weimar n’aida pas plus puissamment à la conquête de la Lorraine que ce pieux cardinal, et jamais une armée navale ne fut mieux commandée que par notre archevêque de Bordeaux à la Rochelle.

On savait que dans ce moment le ministre était assez