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par où l’on entrait, restait un moment à saluer le père Joseph, qui singeait son maître, et que l’on avait pour cela nommé l’Éminence grise, et sortait enfin du palais, ou bien se rangeait debout derrière son fauteuil, si le ministre l’y engageait, ce qui était une marque de la plus grande faveur.

Il laissa passer d’abord quelques personnages insignifiants et beaucoup de mérites inutiles, et n’arrêta cette procession qu’au maréchal d’Estrées, qui, partant pour l’ambassade de Rome, venait lui faire ses adieux : tout ce qui suivait cessa d’avancer. Ce mouvement avertit dans le salon précédent qu’une conversation plus longue s’engageait, et le père Joseph, paraissant, échangea avec le Cardinal un regard qui voulait dire d’une part : Souvenez-vous de la promesse que vous venez de me faire ; de l’autre : Soyez tranquille. En même temps l’adroit capucin fit voir à son maître qu’il tenait sous le bras une de ses victimes qu’il préparait à être un docile instrument : c’était un jeune gentilhomme qui portait un manteau vert très-court, et une veste de même couleur, un pantalon rouge fort serré, avec de brillantes jarretières d’or dessous, habit des pages de Monsieur. Le père Joseph lui parlait bien en secret, mais point dans le sens de son maître ; il ne pensait qu’à être cardinal, et se préparait d’autres intelligences en cas de défection de la part du premier ministre.

— Dites à Monsieur qu’il ne se fie pas aux apparences, et qu’il n’a pas de plus fidèle serviteur que moi. Le Cardinal commence à baisser ; et je crois de ma conscience d’avertir de ses fautes celui qui pourrait hériter du pouvoir royal pendant la minorité. Pour donner à votre grand prince une preuve de ma bonne foi, dites-lui qu’on veut faire arrêter Puy-Laurens, qui est à lui, qu’il le fasse cacher, ou bien le Cardinal le mettra aussi à la Bastille.