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comme injurieux au Roi en la personne de son ministre l’illustrissime Cardinal, comme on le voit dans les arrêts du temps, et que son seul regret était que l’auteur ne fût pas à la place de l’ouvrage : satisfaction qu’il se donnait quand il le pouvait, comme il le fit pour Urbain Grandier.

C’était son orgueil colossal qu’il vengeait ainsi sans se l’avouer à lui-même, et travaillant longtemps, un an quelquefois, à se persuader que l’intérêt de l’État y était engagé. Ingénieux à rattacher ses affaires particulières à celles de la France, il s’était convaincu lui-même qu’elle saignait des blessures qu’il recevait. Joseph, très-attentif à ne pas provoquer sa mauvaise humeur dans ce moment, mit à part et déroba un livre intitulé : Mystères politiques du Cardinal de la Rochelle ; un autre, attribué à un moine de Munich, dont le titre était : Questions quolibétiques, ajustées au temps présent, et Impiété sanglante du dieu Mars. L’honnête avocat Aubery, qui nous a transmis une des plus fidèles histoires de l’éminentissime Cardinal, est transporté de fureur au seul titre du premier de ces livres, et s’écrie que le grand ministre eut bien sujet de se glorifier que ces ennemis, inspirés contre leur gré du même enthousiasme qui a fait rendre des oracles à l’ânesse de Balaam, à Caïphe et autres qui semblaient plus indignes du don de la prophétie, l’appelaient à bon titre Cardinal de la Rochelle, puisqu’il avait, trois ans après leurs écrits, réduit cette ville ; de même que Scipion a été nommé l’Africain pour avoir subjugué cette province. Peu s’en fallut que le père Joseph, qui était nécessairement dans les mêmes idées, n’exprimât dans les mêmes termes son indignation ; car il se rappelait avec douleur la part de ridicule qu’il avait prise dans le siège de la Rochelle, qui, tout en n’étant pas une province comme l’Afrique, s’était permis de résister à l’éminentissime Cardinal,