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peine pour moi. Quant au Marillac, qui conseilla la mort, je la lui réserve au premier faux pas, et te recommande, Joseph, de me le rappeler ; il faut être juste avec tout le monde. Reste donc encore debout ce duc de Bouillon, à qui son Sedan donne de l’orgueil ; mais je le lui ferai bien rendre. C’est une chose merveilleuse que leur aveuglement ! ils se croient tous libres de conspirer, et ne voient pas qu’ils ne font que voltiger au bout des fils que je tiens d’une main, et que j’allonge quelquefois pour leur donner de l’air et de l’espace. Et pour la mort de leur cher duc, les huguenots ont-ils bien crié comme un seul homme ?

— Moins que pour l’affaire de Loudun, qui s’est pourtant terminée heureusement.

— Quoi ! heureusement ? J’espère que Grandier est mort ?

— Oui ; c’est ce que je voulais dire. Votre Éminence doit être satisfaite ; tout a été fini dans les vingt-quatre heures ; on n’y pense plus. Seulement Laubardemont a fait une petite étourderie, qui était de rendre la séance publique ; c’est ce qui a causé un peu de tumulte ; mais nous avons les signalements des perturbateurs que l’on suit.

— C’est bien ; c’est très-bien. Urbain était un homme trop supérieur pour le laisser là ; il tournait au protestantisme ; je parierais qu’il aurait fini par abjurer ; son ouvrage contre le célibat des prêtres me l’a fait conjecturer ; et, dans le doute, retiens ceci, Joseph : il vaut toujours mieux couper l’arbre avant que le fruit soit poussé. Ces huguenots, vois-tu, sont une vraie république dans l’État : si une fois ils avaient la majorité en France, la monarchie serait perdue ; ils établiraient quelque gouvernement populaire qui pourrait être durable.